La formation du caractère (1) : présupposés culturels et moraux.
Nos vies s’inscrivent dans des schémas socio culturels et moraux qui nous façonnent parfois bien plus que nous ne l’imaginons. Le philosophe Alasadair MacIntyre, dans son ouvrage de référence Après la vertu, propose un parcours historique édifiant. Il constate, en suivant le fil de différents auteurs qui ont élaboré une théorie morale qu’ils ne dressent pas la même liste des vertus et qu’ils ne définissent pas de la même manière ce qu’est une vertu. Survolons avec lui quelques grands auteurs, témoins de grandes périodes historico-culturelles.
Des vertus centrales…
Homère, représentant d’une société que MacIntyre qualifie d’héroïque dresse une liste des aretai, que l’on peut rendre par vertus ou excellences, incluant comme centrale la force physique.
Plus tard, dans la cité grecque du IVe siècle AvJC, Aristote dresse une liste très différente de celle d’Homère. Parmi les vertus les plus centrales à l’accomplissement humain, on trouve l’amitié, ou encore la phrônesis, que l’on a du mal à rendre dans nos mots et concepts d’aujourd’hui : prudence, sagacité, sens moral pratique, capacité de l’âme à délibérer pour poser un choix.
Plus tard, le Nouveau Testament qui relate l’histoire de Jésus-Christ fait l’éloge de trois vertus, inconnues d’Aristote, qu’il met en centre de la vie spirituelle : la foi, l’espérance et l’amour. Le Nouveau Testament met aussi en bonne place l’humilité et le dépouillement qu’Aristote considérait plutôt comme des vices.
Faisons un grand saut dans le temps jusqu’aux début du XVIIIe siècle. Aux débuts du modernisme, Benjamin Franklin qui sera considéré comme un des Pères fondateurs des Etats-Unis dresse une liste de treize vertus intérieures fondamentales incluant notamment silence, propreté et ordre. La volonté d’acquérir fait partie des vertus alors que les grecs considéraient le désir de possession matérielle comme un vice, celui de pleonexia, partiellement rendu par notre terme de cupidité. Dans le monde occidental du XXe siècle qui a pris un tournant individualiste, avec l’essor notoire du capitalisme, l’accumulation de bien est assez largement considéré comme un marqueur de réussite. On se souvient de cette sortie emblématique d’un publicitaire et conseiller politique qui avait fait grand bruit : « si à 50 ans on n’a pas une Rolex, c’est qu’on a raté sa vie ».
Depuis la fin du XXe siècle et en ce début de XXIe siècle en Occident, de nouvelles voix se font entendre, aux sons de ressources partagées, intelligence collective, tolérance, vivre ensemble juste, écologie qui s’affichent comme les nouvelles vertus centrales d’une époque qualifiée de post moderne.
… à l’idéal humain…
Ces vertus centrales qui parcourent l’histoire peuvent être mises en cohérence avec l’idéal humain qu’affirme chaque période, chaque auteur. A un niveau encore plus profond, elles attestent de la définition du soi que propose chaque période.
Ainsi, pour Homère, l’excellence humaine apparaît dans la figure du guerrier. Il rend donc honneur au corps et valorise la force physique. Pour Aristote, l’idéal humain est l’honnête homme athénien qui collabore à la vie de la cité. Il rend ainsi honneur à l’esprit et à une forme de détachement décisionnel que celui-ci permet. Pour le Nouveau Testament, l’idéal humain est celui du disciple qui met ses pas dans ceux du Christ, dans une vie de suivance et de service qui renonce à la domination et participe à la construction d’un nouveau corps social, l’Église. Sans amour, foi, espérance, ce projet n’est ni réaliste, ni réalisable. Le modernisme s’accompagne d’avancées techniques, industrielles, et met en exergue un principe d’efficacité et de rationalité. L’idéal humain est pour MacIntyre celui du Directeur, ou encore du Thérapeute qui font appel à des méthodes scientifiques pour mener à bien leurs tâches. Le post modernisme redonne une place de choix à l’expérience et aux émotions. L’idéal humain en est celui du voyageur ou encore du coach qui aide chacun à se trouver et à accomplir son projet de vie.
…à l’ennéagramme
Travailler sur soi, oui, mais quel « soi » ? Quelle histoire ai-je incorporé dans ma vie ? Vers quel idéal je tends ? Quelles vertus me portent ? Quels vices me révoltent ? Les réponses que je donne à ces questions forment le cadre moral dans lequel l’ennéagramme s’inscrit.
Illustrons par l’exemple. De nombreux indices permettent de penser que l’Abbé Pierre et Saddam Hussein sont du même ennéatype, en l’occurrence le type 8. L’ennéagramme met en lumière que l’ennéatype 8 possède une grande énergie (centre instinctif privilégié), tournée vers les autres (direction extérieure privilégiée). Voilà effectivement un trait commun à l’Abbé Pierre et à Saddam Hussein dont leur parcours de vie atteste. Pour le reste, il semble difficile de rapprocher ces deux personnes, tant leur cadre moral semble éloigné. Leurs engagements politiques forts semblent s’être inscrits pour le premier dans une histoire de service des plus démunis, que la presse qualifiera à un moment charnière « d’insurrection de la bonté[1] » et pour le second dans une histoire d’intenses luttes de pouvoir menant à un régime assez largement qualifié de « dictature[2] ».
Nos présupposés moraux, l’histoire à laquelle nous nous rattachons et vers laquelle nous tendons forment donc le cadre dans lequel s’inscrit notre travail sur soi. Voir la suite
[1] https://www.fondation-abbe-pierre.fr/la-fondation-abbe-pierre/la-vie-de-labbe-pierre/linsurrection-de-la-bonte.
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Saddam_Hussein#Présidence_dictatoriale.