ActualitésEnnéagramme

Une interpellation adressée à Anne Lécu,

Mais quelle mouche a donc bien pu piquer Anne Lécu[1] ? Dans son ouvrage, L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher, elle engage une critique à tout va de l’ennéagramme qu’elle termine d’ailleurs par un chapitre intitulé « Pour en finir », coupant court à toute discussion[2]. Après tout, cela fait l’économie de l’écoute de l’autre, du débat contradictoire au profit du réquisitoire, style littéraire que l’ouvrage affectionne. En complément des éléments de réponse apportés par Pascal Ide[3], ce billet interpelle Anne Lécu au travers de ses neuf affirmations conclusives[4], justement « pour ne pas en finir », bien au contraire.

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme provient de l’occultisme, ce qui est le plus souvent… occulté au profane, qu’il soit croyant ou incroyant. Cette dissimulation a pour but de le rendre encore plus invasif car ni la spiritualité, ni la psychologie authentiques ne sauraient intégrer sa logique mécanique ou ses présupposés gnostiques. »

Une interpellation : Anne Lécu, vous ne définissez à aucun moment ce que vous englobez derrière le mot et la notion d’Ennéagramme. S’agit-il du symbole – un cercle, un hexagone, un triangle, neuf points, des lignes – ou du modèle de personnalité ? Les deux n’apparaissent pas en même temps et il serait erroné, ou malhonnête[5], de les assimiler sans distinction[6]. Le symbole est difficile à dater. Il peut être retrouvé dans des descriptions anciennes que vous rappelez avant d’affirmer catégoriquement : « En réalité, nulle trace de l’Ennéagramme n’existe avant Georges Ivanovitch Gurdjieff. » D’où surgit cette affirmation et cette paternité que vous attribuez soudainement à Gurdjieff ? Si l’on parle du symbole, il y a trop de mentions antérieures à Gurdjieff. Si l’on parle de l’observation de soi, là encore, on est bien avant Gurdjieff. Si l’on parle du modèle de personnalité, alors, il faut se placer après Gurdjieff et donner une large paternité à Claudio Naranjo. Ni Gurdjieff, ni Ichazo, ne possédaient les compétences en psychologie pour crédibiliser un modèle de personnalité. Naranjo, psychiatre, était seul compétent pour cela. Et c’est d’ailleurs lui qui établira une correspondance entre les types du modèle dans leurs états dégradés et les différents syndromes de la psychologie et de la psychiatrie. La « pierre de Rosette » de l’ennéagramme selon Helen Palmer, psychologue de la génération suivante qui prolongera les travaux de Naranjo pour crédibiliser le modèle de personnalité dans cette veine.  Relier de manière insistante l’ennéagramme à la figure de Gurdjieff est une erreur, tant pour le symbole que pour le modèle de personnalité. Cela l’est encore davantage si l’on se place du point de vue des praticiens de l’ennéagramme en France aujourd’hui. Il est vrai que je suis loin de tous les connaître, mais pour ceux et celles que je connais, aucun ne se réfère dans son enseignement à la figure de Gurdjieff ou même d’Ichazo. Sur le modèle de personnalité, on cite Naranjo pour la première génération. Celui-ci a laissé un matériel accessible et ensuite les auteurs de deuxième (Palmer, Ochs, Wagner, Riso, Rohr…) et troisième génération (Chabreuil, Salmon…).

Vous parlez également de « la spiritualité » et de « la psychologie » authentiques [mises en gras de notre fait]. À quelle spiritualité et psychologie pensez-vous ? Entendriez-vous qu’il n’existe qu’une seule école de spiritualité et qu’une seule école de psychologie qui soit authentique ? Laquelle ? Nul n’ignore les débats vigoureux et les anathèmes échangés entre Freud et Jung pour ne citer qu’eux. Chaque école de psychologie a dû gagner ses lettres de noblesse en identifiant ses présupposés, en décrivant son modèle, en présentant ses résultats. L’ennéagramme des personnalités n’a rien d’une sous-catégorie en cela. Il existe de nombreux articles scientifiques et plusieurs thèses de médecine publiées sur l’ennéagramme. Il existe une association internationale de l’ennéagramme.

Enfin, si l’ennéagramme était transmis de manière occulte et dissimulée, auriez-vous trouvé et cité autant de lieux, de livres et de personnes à son sujet ?

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’initiation à l’Ennéagramme repose sur un modèle… initiatique, puisqu’il est proscrit de l’« apprendre » seul et qu’il ne peut être que l’objet d’une « transmission » au sein d’un groupe. Ce qui annihile la critique externe et paralyse la critique interne sous couvert de « travailler » à l’émergence d’une conscience libre. »

Une interpellation : Anne Lécu, reprocheriez-vous à quelqu’un qui entend suivre une psychanalyse de ne pas pouvoir la faire seule en devant être accompagnée d’un professionnel ? Où à une personne malade de devoir consulter un médecin sans pouvoir se soigner toute seule ? Est-ce que cet état de fait annihile la critique externe de la psychanalyse ou de la médecine ? Ou au contraire, est-ce que cela qualifie et crédibilise ces disciplines auxquelles on ne peut pas simplement accéder par soi-même ou par une seule connaissance intellectuelle, mais par un vis-à-vis qualifié, une expérience et une pratique. Une personne qui désire engager un travail de connaissance de ses fonctionnements doit obligatoirement le faire en étant accompagnée d’un professionnel, que ce soit pour l’ennéagramme ou pour tout autre approche. C’est le principe d’altérité. Cela est vrai aussi pour celui qui désire progresser au niveau spirituel. Il se fera accompagner. Sans cela, il ne pourra qu’être à la merci de ses propres intuitions. Si un jour vous consentez à suivre un stage de découverte de l’ennéagramme, vous percevrez le bénéfice d’un formateur qualifié et d’un groupe de stagiaires qui vous offriront des points d’observations différents du vôtre. L’ennéagramme présuppose qu’il existe en nous une capacité à nous observer (nommée l’observateur intérieur) qui peut être stimulée, exercée, musclée en quelque sorte. Lorsque quelqu’un s’intéresse tout à coup à son fonctionnement, il n’est pas rare que son observation soit souvent assez éloignée de celle que d’autres ont de lui. Ainsi, par exemple, un stagiaire qui se définit volontiers comme un second prenant peu d’initiatives alors qu’unanimement, quatre personnes qui le connaissent bien le décrivent comme un leader plein d’initiatives.

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme est un dispositif axiomatique et totalisant qui plie à son cadre l’exégèse théologique, le commentaire philosophique, l’analyse psychologique, la théorie scientifique qui lui convient et, sinon, l’exclut puisqu’il se veut la norme et la clé de toute réflexion. Quiconque, croyant ou incroyant, veut l’adapter à sa tradition de pensée doit en conséquence distordre celle-ci pour la rendre conforme à ce modèle absolu ainsi que le montre l’assimilation courante de la « transformation de soi » à la conversion religieuse ou à la guérison médicale. »

Une interpellation : Anne Lécu, vous parlez d’un modèle absolu, littéralement un modèle « hors de toute relation ». Or l’ennéagramme s’attache à décrire le fonctionnement d’une personne « dans la relation », dans son histoire et son but, dans son attachement ou non à un groupe social, dans ce que cette personne essaie d’atteindre, parfois bien maladroitement. Encore une fois, il me semble que vous projetez sur l’ennéagramme un fonctionnement qui n’est pas celui proposé. L’ennéagramme n’a pas vocation à entrer en rivalité avec l’exégèse théologique, le commentaire philosophique, l’analyse psychologique ou la théorie scientifique. Bien au contraire ! En travaillant sur le caractère, il s’intéresse à une notion particulièrement vaste qui ne peut être correctement appréhendée que par le raisonnement analogique. Il s’agit de procéder par recoupements, ressemblances et dissemblances. De grands théologiens du caractère, en partant de présupposés et angles d’approches différents, sont arrivés à la même conclusion : l’éthique du caractère et des vertus procède par analogie[7].

Si je me restreins maintenant à un champ de connaissance plus étroit, celui de l’exégèse biblique, vous n’êtes pas sans ignorer tout le développement de l’analyse narrative depuis les premiers travaux de Robert Alter[8]. Cette analyse prend très au sérieux les « characters » du récit biblique que l’on peut traduire en français par personnages, mais aussi personnalités ou caractères. Robert Alter fait une découverte étonnante : dans le récit biblique, le narrateur ne trompe jamais son lecteur. Il sonde, et livre à son lecteur, l’intention profonde des personnages, même parfois celle de Dieu lui-même. Voilà les prémices de tout un développement d’une lecture exégétique prenant au sérieux les personnages bibliques et leurs motivations, leurs comportements en situation, leurs rapprochements ou oppositions. Avez-vous lu les magnifiques ouvrages d’André Wénin et son exégèse des différents personnages de la Genèse[9] ? La ligne psychologisante qu’il adopte n’enlève rien à l’exégèse fine qu’il propose du texte. Bien au contraire, l’une nourrit l’autre.

Quant à la pratique actuelle dans les stages ou l’ennéagramme est enseigné, l’une des formatrices de notre groupe introduit toujours l’ennéagramme ainsi : « l’ennéagramme n’est ni une thérapie ni une spiritualité, et ne répond pas à toutes les questions que nous pouvons nous poser sur nous-même. » Beaucoup de praticiens de l’ennéagramme sont formés à d’autres outils et méthodes pour pouvoir s’adapter aux besoins des personnes et, ce faisant, relativisent l’ennéagramme qui n’a pas réponse à tout.

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme est autocentré et circulaire, ce qui le rend étanche à la moindre critique, puisque quiconque s’y risque voit ses remarques réduites à une des caractéristiques de son type et doit alors s’en justifier. »

Une interpellation : Anne Lécu, vous adressez une critique proche de celle-ci à Carl Gustav Jung[10]. Quelque part, celui-ci acquiesce à votre critique en posant le constat suivant :

« Il n’existe aucun point d’Archimède sur lequel on pourrait s’appuyer pour juger, car la psyché ne saurait être discernée de sa manifestation. La psyché est l’objet de la psychologie et – malheureusement – elle en est aussi le sujet : ce fait ne comporte aucune échappatoire[11]. »

Oui, notre critique de la psyché ne peut se faire… qu’à partir de notre psyché. Sujet et objet se confondent, aucune échappatoire possible. Sauf à supposer que l’on soit au-delà de la nature humaine, dans une position surplombante, un point d’Archimède. Peut-être ce que le grand théologien du caractère, Stanley Hauerwas, nomme le péché ?

« le péché, au demeurant, n’est pas simplement une erreur, ou l’accomplissement de certaines actions interdites ; c’est la tentation positive de dépasser notre pouvoir de créatures. Il se manifeste dans notre orgueil et notre sensualité, mais sa forme fondamentale est l’illusion[12]. »

Lorsqu’une critique est exprimée, il est normal et même très sain que l’on interroge sa source, sa méthode, son intention, son pouvoir. Seul ce travail permet de l’inclure dans la relation.

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme est hors de tout processus de vérification, puisqu’il est à la fois dépourvu de base scientifique et de protocole d’évaluation, le critère souvent avancé de la « satisfaction client » n’ayant rien d’objectif. »

Une interpellation : Anne Lécu, Pascal Ide vous a déjà interpellée sur l’aspect scientifique au paragraphe « L’ennéagramme serait-il un outil non scientifique ? »

J’aimerais prolonger en vous interpellant sur ce que vous qualifiez de non objectif. J’ai l’impression, en vous lisant, que vous qualifiez d’objectif tout ce qui évacue l’humain et de subjectif ce qui l’inclus. Or, une nouvelle fois, le théologien du caractère Stanley Hauerwas s’est attaché à montrer tout le contraire. Il s’insurge contre une éthique de la situation, qui postule qu’on peut trouver un point de vue vrai en toute situation, indépendamment des personnes affrontées à ladite situation. Dans cette approche, tenir compte des personnes relèverait du particularisme, du subjectivisme. Hauerwas démontre que cela est faux. Tout au contraire, c’est l’approche hors de la personne qui est subjective car non fondée dans le réel, un illusoire point d’Archimède. Une approche objective intègre le fait qu’une personne ne peut effectuer un choix devant une situation qu’en fonction de son histoire, de son expérience (un mot proche de caractère), de la fin qu’elle espère. Ainsi la « satisfaction client » qui interroge la personne qui a suivi une formation est un critère très objectif, si l’on considère l’humain comme essentiel et important.

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme assigne chaque individu à un type qui s’apparente à un destin, lequel ne se distingue pas d’une fatalité. Or, la liberté humaine, ainsi que définie par les philosophes et à commencer par Aristote, réside dans la possibilité des contraires, le « pouvoir ne pas ». Toute caractérologie qui s’abîme dans le déterminisme annule à terme le libre arbitre. »

Une interpellation : Anne Lécu, il me semble que vous soulevez ici un point essentiel. Effectivement, la notion de destin, ou plus communément de vocation ou de but est partie prenante de l’ennéagramme des personnalités. C’est une affirmation de nature spirituelle. Dans leur enseignement de l’ennéagramme, Fabien et Patricia Chabreuil approchent le registre spirituel ainsi :

  1. L’univers a une finalité ; il obéit à un plan qui le fait tendre vers cette finalité.
  2. L’existence de tout ce qui est, et donc de l’être humain, fait partie de ce plan et ne peut pas ne pas en faire partie[13].

C’est ce point précis, il me semble, qui place l’ennéagramme sur une ligne différente des autres écoles psychologiques. Le philosophe Alasdair MacIntyre, dans son brillant ouvrage Après la vertu[14], estime que le « projet des Lumières » se caractérise par la réduction du schéma moral et la perte de but. Avec l’essors du modernisme, la notion d’humain perd sa dimension fonctionnelle. Autrement dit, lorsque je dis le mot « humain » aujourd’hui, je n’évoque rien de fonctionnel, rien de ce à quoi l’humain est destiné, rien de ce qu’il est censé accomplir. Perte de finalité, liée à une perte de la dimension spirituelle de l’humain sous les coups de boutoir de l’athéisme. C’est probablement pour cela que l’ennéagramme est populaire dans les milieux chrétiens et qu’il intéresse certains religieux, prêtres, pasteurs qui ne sont pas psychologues mais qui se disent en eux-mêmes : enfin une approche psychologique compatible avec les présupposés spirituels de la foi chrétienne. Enfin, une possibilité d’envisager psychologie et foi dans un modèle partenaire plutôt que rival[15].

Ceci étant dit, je vous accorde volontiers que l’ennéagramme n’a rien de chrétien en soi. Et que s’il présuppose une dimension spirituelle, une nécessaire vocation humaine, il n’affirme en rien que celle-ci s’origine dans le Dieu de Jésus-Christ. Il ne l’empêche pas non plus. Notre groupe œcuménique – trois catholiques, deux protestants – de praticiens de l’ennéagramme a pris bien du temps pour clarifier cet enjeu et positionner les formations proposées comme formations à la connaissance de ses fonctionnements à la lumière des fonctionnements mis en avant par le modèle du Christ, le récit biblique, l’Église, les figures spirituelles chrétiennes.

Vous citez Aristote comme figure non déterministe. Est-ce vraiment le cas ? N’y a-t-il pas chez Aristote l’affirmation que le citoyen vertueux ne peut l’être qu’en appartenant à une communauté vertueuse, en étant instruit dans la vertu et en recherchant la vertu ? Point de salut pour celui qui serait en dehors de ces prérequis. Autrement dit, la demande de lien qu’exprime le bon larron à Jésus lors de la crucifixion est-elle intelligible dans la perspective d’Aristote ? Comment un juif, instruit et sage pourrait-il avoir quelque amitié avec un barbare, inculte et brigand ? Nous connaissons la réponse de Jésus qui distingue clairement l’Évangile de la morale aristotélicienne et offre une liberté d’un tout autre registre.

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme est avant tout un commerce placé sous le signe de l’argent qui parle de compassion et profite au capital. Combien coûte-t-il à ses consommateurs ? Combien rapporte-t-il à ses commissionnaires ? Combien gagnent, petits ou grands, ses propagateurs, entrepreneurs, formateurs, animateurs ? Et pour quel gain réel chez leurs adeptes-clients ? »

Une interpellation : Anne Lécu, si l’on se cantonne à la France, les formateurs en ennéagramme sont-ils riches ? Combien d’entre eux vivent de leur pratique de l’ennéagramme ? Je crains de pouvoir les compter sur les doigts d’une main. Je peux parler de notre propre pratique. Depuis que nous avons mis en place notre site ennea-via.org, nous n’avons perçu aucune rémunération pour les formations dispensées dans ce cadre. Les participations que nous demandons à nos formations couvrent nos frais de déplacement ainsi que le coût de fonctionnement de notre blog, sans plus. L’argent n’est clairement pas la motivation de notre pratique. Je ne crois pas non plus qu’elle soit la motivation des autres praticiens de l’ennéagramme.

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme engendre, potentiellement ou effectivement, inconsciemment ou consciemment, la manipulation. L’aspect en apparence innocent de la typologie des personnalités n’est que l’accroche de l’engrenage envoûtant de ce dispositif. On en arrive ainsi à penser autrui, la place d’autrui, la relation avec autrui, à son insu et en fonction du dispositif. »

Une interpellation : Anne Lécu, la manipulation existe effectivement. En comprenant que l’ennéagramme était une typologie des fonctionnements, Riso et Hudson ont même décrit, assez sobrement, neuf manières préférentielles de manipuler les autres[16]. Prendre conscience de ces fonctionnements, apprendre à les décrypter assez tôt peut s’avérer d’un grand secours pour réorienter ou rompre des relations « toxiques » et limiter ainsi les frais.

Le risque existe effectivement dans l’autre sens, ou une personne pourrait se servir de l’ennéagramme pour manipuler quelqu’un d’autre. Mais dans ce cas, la faute incombe-t-elle à la personne qui manipule ou à l’ennéagramme ? L’ennéagramme n’a pas de pouvoir de transformation morale. Il ne peut donc pas être accusé de manipuler qui que ce soit. Autrement dit, quelqu’un qui a l’habitude de manipuler une autre personne avant de connaître l’ennéagramme continuera de le faire après. Et réciproquement, quelqu’un qui ne le fait pas avant ne le fera pas après.

De mon point de vue, l’Évangile est une force de transformation morale car il situe Dieu comme régnant sur le monde, Jésus comme modèle et la ressemblance à Jésus avec l’aide de l’Esprit-Saint comme direction de vie. Sans modèle, sans direction de vie, pas de changement possible. L’Évangile est d’un tout autre ressort que l’ennéagramme.

Maintenant, Anne Lécu, retenons la définition de la manipulation proposée par le Larousse : « Action d’orienter la conduite de quelqu’un, d’un groupe dans le sens qu’on désire et sans qu’ils s’en rendent compte[17]. » Imaginons une personne qui ne connaît rien de l’ennéagramme et qui se met à lire votre ouvrage. Pouvez-vous vraiment affirmer que ce que vous avez écrit n’a pas vocation à l’influencer dans un certain sens, sans qu’elle s’en rende compte ?

 

 

  1. Une affirmation d’Anne Lécu : « L’Ennéagramme professe l’éthique et pratique l’amoralité. Que reste-t-il des soucis épistémologique ou déontologique […] Pendant que l’on montre la cohérence du dispositif, on en oublie les origines véritables de la doctrine : qui a entendu parler de Gurdjieff dans les formations ennéagrammes faites au sein des entreprises ou des paroisses ? »

Une interpellation : Anne Lécu, les praticiens que je connais fournissent à leurs stagiaires une charte déontologique qui les ramène à l’intention première du stage : travailler sur leur propre fonctionnement, de manière à être mieux en lien avec eux-mêmes et avec leur prochain. La charte de l’Association internationale de l’Ennéagramme donne des indications explicites sur un usage sain de l’ennéagramme.

Aucun de nous ne cite Gurdjieff lors de nos stage ennéagramme car rien de ce que nous n’enseignons ne provient de Gurdjieff. Ce serait en effet malhonnête de notre part de relier ce que nous enseignons et que nous appelons ennéagramme à Gurdjieff, comme cela serait malhonnête de citer Marcion ou Arius lorsque nous enseignons l’Évangile à des catéchètes.

 

Une invitation conclusive

Anne Lécu, justement pour « ne pas en finir », nous ne pouvons que vous encourager à poursuivre votre observation, en lien avec celle d’autres personnes qui connaissent et utilisent l’ennéagramme des personnalités depuis de longues années.

Alexandre Nussbaumer[18]

 

[1] Cf. Anne Lécu, L’Ennéagramme n’est ni catho, ni casher, Paris, Cerf, 2023, p. 28. L’auteure mentionne trois événements qui l’ont poussé à la rédaction de ce livre : la place donnée à l’ennéagramme dans une formation théologique, une formation en entreprise et une revue jésuite. Voilà donc le motif avoué de ce livre.

[2] L’article scientifique suit normalement un plan très réglementé en quatre parties : introduction, matériels et méthodes, résultats, discussion. La partie conclusive « discussion » précise généralement les limites de l’étude menée, recommande une étude complémentaire qui permettrait de lever un doute ou renvoie à d’autres articles qui infirment ou confirment les données de l’étude en cours. Rien de cela dans le « pour en finir » d’Anne Lécu.

[3] http://pascalide.fr/lenneagramme-ni-catholique-ni-diabolique-simplement-un-bon-outil-de-connaissance-et-de-transformation-de-soi/. Consulté le 22 avril 2023.

[4] Cf. Anne Lécu, L’Ennéagramme, op. cit., p. 179-185.

[5] Il m’a été difficile, à la lecture des nombreuses contre-vérités qui jalonnent l’ouvrage de déterminer s’il s’agissait uniquement d’erreurs par méconnaissance de l’outil ou d’une intention plus volontaire de tromper le lecteur, registre de la manipulation et du mensonge. Dans le doute, j’en resterai à la seule qualification d’erreur.

[6] Cf. Fabien Chabreuil, Patricia Chabreuil, Le grand livre de l’ennéagramme: les 9 types de personnalité, troisième édition, Paris, Eyrolles, 2015, p. 405 ss.

[7] Voir par exemple William C. Spohn, Jésus et l’éthique: « va et fais de même ! », Le livre et le rouleau 37, Bruxelles, Lessius, 2010 ; Stanley Hauerwas, The character of virtue: letters to a godchild, Canterbury Press Norwich, 2018. Voir aussi Stanley Hauerwas, Le royaume de paix: une initiation à l’éthique chrétienne, Paris, Bayard, 2006, p. 76‑77 :  « « Connaître » Dieu demande que l’on repense ce que nous connaissons de nous-mêmes et du monde, et comment nous venons à les connaître. Pour se connaître soi-même, on ne peut éviter de prendre position sur le genre de monde dans lequel les sujets peuvent exister. Ni Dieu, ni le monde, ni le Soi ne peuvent être correctement connus comme des entités séparées, ils sont dans une relation qui doit être exposée concrètement. Or, cette exposition prend la forme d’un récit, où nous découvrons que nous ne pouvons « connaître » Dieu, le monde et le « Soi » qu’au moyen de leur histoire. »

[8] Robert Alter, L’art du récit biblique, Bruxelles, Lessius, 1999. Traduction de The Art of Biblical Narrative, 1981.

[9] André Wénin, D’Adam à Abraham ou Les errances de l’humain: lecture de « Genèse » 1,1-12,4, Paris, Cerf, 2014 ; André Wénin, Abraham, ou, L’apprentissage du dépouillement: lecture de Genèse 11, 27-25, 18, Lire la Bible 190, Paris, Cerf, 2016 ; André Wénin, Joseph ou L’invention de la fraternité: lecture narrative et anthropologique de Genèse 37-50, Le livre et le rouleau 21, Bruxelles, Lessius, 2005.

[10] Anne Lécu, L’Ennéagramme, op. cit., p. 89.

[11] Carl Gustav Jung, L’âme et la vie: textes essentiels, Paris, Buchet/Chastel, 2003, p. 28.

[12] Stanley Hauerwas, Le royaume de paix: une initiation à l’éthique chrétienne, p. 105.

[13] Citation issue des documents remis aux participants du stage « Essence ».

[14] Alasdair C MacIntyre, Après la vertu: étude de théorie morale, 2ème édition, Paris, PUF, 2013. Traduction française de After Virtue, 1981.

[15] Voir à ce propos l’excellent article de Jean Joncheray, « Théologie et sciences humaines », in Précis de théologie pratique, Théologies pratiques, Bruxelles; Montréal; Paris, Lumen Vitae ; Novalis ; L’Atelier, 2007, p. 167‑178.

[16] Don Richard Riso, Russ Hudson, Thierry Grandjean, et al., La sagesse de l’ennéagramme : le guide complet de développement psychologique et sprirituel pour les neuf types de personnalité, Malakoff, InterÉditions, 2018, p. 110.

[17] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/manipulation/49185.

[18] Actuellement pasteur à temps partiel d’une Église mennonite, doctorant en théologie morale, expert scientifique exerçant à temps partiel depuis 2008 en agronomie, dans le traitement des données et la modélisation, praticien certifié de l’ennéagramme depuis 2019.

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