EnnéagrammeVie chrétienne

Joseph ou le Comte de Monte-Cristo (5/7), récits comparés

Le Dieu qui veut la vie

Lorsque Joseph en appelle à Dieu, c’est la vie qu’il évoque :

  • Au moment de nommer ses jumeaux, Joseph évoque le Dieu qui fait oublier la peine et qui rend fécond (Gn 41.51-52).
  • Au moment de tester ses frères, « Faites ceci, et vous vivrez. Je crains Dieu ! » (Gn 42.18)
  • Au moment où les masques tombent et les identités se révèlent : « Maintenant, ne vous affligez pas et ne soyez pas fâchés de m’avoir vendu ici, car c’est pour sauver des vies que Dieu m’a envoyé en avant de vous. » (Gn 45.6)
  • Au moment où le patriarche Jacob décède. Les frères se demandent si Joseph ne risque pas de leur rendre tout le mal qu’ils lui ont fait. Joseph répond : « N’ayez pas peur : suis-je à la place de Dieu ? Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien, afin de faire ce qui arrive en ce jour, pour sauver la vie d’un peuple nombreux. » (Gn 50.19-20)

 

Quel Dieu ?

Le Dieu que nous présente Joseph semble ainsi bien éloigné du Dieu que nous présente Dantès.

Le Dieu de Joseph est le Dieu qui fait vivre et qui sait tourner le mal en bien, qui sait faire progresser la fraternité et sauver un peuple nombreux de la famine par le moyen des liens rétablis. A son contact, le lecteur apprend qu’être frère, c’est bien être le garant de son prochain.

Le Dieu de Dantès est le Dieu qui sait faire le mal à ceux qui ont fait le mal. Il ne fait pas progresser l’amitié et ne sauve aucun peuple. Dantès constate aux dernières pages du récit qu’il s’est trompé de voie et qu’il s’est trompé de Dieu.

Quelle fin ?

Les derniers mots des deux récits attestent de cette distance. Dumas termine son roman avec les mots « attendre et espérer » comme s’il affirmait que l’exploration qu’il nous a livrée tout au long de son roman demandait de regarder encore plus loin, à quelque chose encore à venir, qu’il n’a pas pu ou pas su présenter à son lecteur et qui pourrait porter le récit à une autre dimension. Il ose le nommer brièvement : le pardon. Ce pardon balbutiant qui esquisse un horizon entre fin de la vengeance et oubli. Ce pardon qui attend et espère.

Le récit de la Genèse se termine lui sur une courte généalogie (Gn 50.22-26). La vie se déploie et « Joseph vit les fils d’Ephraïm jusqu’à la troisième génération » (Gn 50.23). En s’engageant au côté du Dieu qui veut la vie, Joseph ne fait pas obstacle au déploiement de cette vie et en contemple les fruits, au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer, pour sa propre lignée et celle de ses frères qui forment ensemble un peuple.

Le pardon comme une histoire

Dans le livre du pardon, Desmond et Mpoh Tutu montrent que la vengeance est la mieux décrite sous la forme d’un cercle[1] qui s’autoalimente et ne laisse aucune issue. La blessure subie engendre la douleur. La douleur engendre le choix de blesser l’autre. Le choix de blesser l’autre engendre riposte et représailles. Les représailles engendrent la cruauté. La cruauté engendre une nouvelle blessure et permet à un nouveau cycle de naître. Seul le pardon, qui commence par le choix de guérir, permet d’ouvrir ce cercle et de se reconnecter à la vie.

Les auteurs décrivent ainsi le pardon comme un choix. Mais plus profondément, il nous semble qu’à l’aune des récits que nous venons d’explorer, le pardon est mieux décrit comme une histoire.

Une histoire a le mérite d’intégrer deux notions fondamentales : le temps et le but.

Dumas explore justement une histoire déterminée de la vengeance qui poursuit la sanction, mène à la mort et au remord. Il nous montre que les personnages principaux ont vieilli et se sont usés à cette tâche sans que la vie n’ait jaillit. Là ou Dantès espérait maîtriser le mal, il s’aperçoit finalement que c’est le mal qui le maîtrise.

Le cycle de Joseph explore justement une histoire déterminée de non-vengeance qui fait progresser chacun. Il ne s’agit pas d’une histoire naïve ou Joseph pardonnerait facilement ceux qui l’ont dépouillé de tout, mais d’une histoire ou les pertes, la souffrance, la tragédie de la trahison peuvent être inscrites dans un récit plus profond et porteur. Le Dieu qui fait vivre trace son chemin au milieu de tout cela et demande simplement à Joseph de lui faire confiance pour dénouer les fils de cette histoire.

 

Quelle application ?

Voilà comment vengeance ou pardon amènent deux récits analogues dans leur débuts à des conclusions radicalement différentes. La vraie question que nous posent ces deux récits est alors la suivante : de quelle histoire voulons nous faire partie ? Celle de Dantès ou celle de Joseph ? (à suivre)

[1] Desmond et Mpho Tutu, le livre du pardon, Paris, Guy Trédaniel, 2015, p. 53.

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