Libérée, délivrée…
Cette chanson du film La Reine des neiges a souvent résonné et fait l’objet de nombreuses parodies pendant les semaines de confinement. Les mots « liberté » « libération » « délivré(e) » sont d’ailleurs revenus dans les conversations et les interviews pour décrire des réalités très diverses. Car, que signifie pour chacun, chacune d’entre nous être « libre » ?
Richard Rohr, auteur d’un des premiers livres sur l’ennéagramme, n’hésite pas à dire, dans son commentaire du Sermon sur la Montagne[i], que notre vision occidentale de la liberté, inspirée des Lumières et de la Révolution française, nous porte à vouloir être autre chose que ce que ce que nous sommes. Il illustre ainsi son propos : « La liberté pour un figuier ne consiste pas à produire des pommes ou des oranges, à être un cheval ou une corbeille [mais] la liberté parfaite et complète pour un figuier est de devenir un figuier parfait et abondant ». La liberté ne consisterait donc pas à garder ouvertes le plus d’options possibles, comme nous avons souvent tendance à le croire, mais à nous consacrer à être vraiment ce que nous sommes appelés à être. La clé de la liberté serait donc d’avoir une connaissance claire de qui nous sommes et de quelles sont les « figues » que nous sommes appelé(e)s à porter.
Parmi les différents outils de connaissance de soi, l’ennéagramme offre précisément des clés pour découvrir ce que nous pouvons apporter au monde en étant pleinement nous-mêmes. On lui reproche de vouloir « enfermer dans des boîtes » alors qu’un des principaux enseignements de l’ennéagramme est de nous donner le moyen de nous libérer de ces fausses images que nous faisons de nous-mêmes et de ce que nous devrions être. Tant que nous nous jouerons un rôle à contre-emploi nous ne serons certainement pas libéré(e)s ni délivré(e)s ! Si vous avez participé à une session de découverte de l’ennéagramme vous avez probablement assisté (ou vécu vous-même) à ce moment où une personne comprend qu’elle se charge depuis des années d’un boulet qu’elle n’a nullement besoin de traîner et qu’elle vient de trouver la clé pour s’en libérer. J’ai été plusieurs fois témoin de ces moments et j’ai l’impression de voir comment cette femme, cette homme, pose tout à coup des valises très lourdes qui l’empêchaient d’avancer et qu’il, elle s’autorise enfin à laisser au sol.
Ce sentiment de libération n’est pas toujours aussi immédiat et peut même prendre des détours peu profitables pour la personne. Revenons à la Reine des neiges car ce personnage va nous permettre de décrire un piège dans lequel nous risquons de tomber en découvrant l’ennéagramme et la vertu, l’orientation et l’idée supérieure attachées à notre type. Quand Elsa chante le célèbre « Libérée, délivrée » elle pense en effet s’être enfin déchargée d’une contrainte qui l’empêchait de réaliser ce qu’elle sait si bien faire : du froid et de la glace. Elle va créer autour d’elle de magnifiques structures et se revêt d’habits féeriques. Mais l’histoire nous montre que pour pouvoir être libre d’exercer ce talent elle doit rester seule dans son magnifique château de glace, loin de son royaume et de sa famille. De la même manière, la découverte de notre type peut devenir une autorisation à laisser libre cours à notre orientation, à ce que nous apportons au monde, sans y mettre les freins nécessaires par une analyse sincère de notre motivation profonde. Elsa, la reine des neiges, est typée en Un[ii] mais tous les types peuvent tomber dans cette fausse libération et utiliser leur orientation comme excuse à des débordements très dommageables pour eux et pour leurs proches. Pour revenir à l’image du figuier, nous pouvons produire des figues en surabondance mais elles risquent d’être de piètre qualité et de nous écœurer ainsi que notre entourage !
L’ennéagramme n’est qu’un outil et il ne va pas nous libérer magiquement. Pour accéder à cette liberté il nous faut accepter d’ouvrir les yeux sur nos motivations profondes, à la lumière de la Parole de Dieu et en laissant le regard aimant de Jésus se poser sur nous, lui qui nous dit que « la vérité nous rendra libres »[iii]. Et dans cette recherche sincère l’ennéagramme pourra être une aide très puissante pour nous conduire à accepter cette vérité et à incarner la vertu et l’idée supérieure avec lesquelles nous sommes appelé(e)s à contribuer à la construction du Royaume.
[i] Rohr, Richard. Jesus’ plan for a new world: the Sermon on the Mount.
[ii] Gary Houchens Let It Go: « Frozen » and the Enneagram Type One
[iii] Jean 8:32