Vie chrétienne

L’ennéagramme est-il compatible avec la foi chrétienne ?

Comment répondre courtement à une question qui suscite bien des débats ? Certains reprochent à l’ennéagramme d’empiéter ou même de contrevenir à la foi chrétienne.  Parcourons quelques critiques en ce sens.

L’imprégnation ésotérique ou occulte de l’outil ?

Qui tape ennéagramme sur un moteur de recherche tombera rapidement sur des sites mettant en lien ennéagramme et spiritualités ésotériques, mystiques[1], ou faisant appel à des notions « ambiguës comme l’énergie, l’essence du moi[2]. » Dans de tels liens, l’ennéagramme est effectivement adossé à une pratique spirituelle antinomique à la pratique chrétienne.

Est-ce alors directement l’ennéagramme qui est en cause ou la récupération de l’ennéagramme dans un cadre, une spiritualité, qui sert son intention propre ? Qui creusera un peu se rendra compte que les promoteurs de telles approches mélangent allègrement ennéagramme et autres appels de tous bords : numérologie, cosmologie, new age… pour servir au final une vision spirituelle peu définie et une vision de l’homme peu claire.

Rien de nouveau sous le soleil. La tentation pour l’homme de chercher à être plus qu’un simple homme et à dépasser sa condition de créature traverse le récit biblique et l’histoire de l’humanité. Elle est présente dès la Genèse où le serpent, instillant le doute, suggère à Adam et Eve qu’ils pourraient être comme Dieu (Gn 3.5). Plus loin, à Babel, les hommes unissent leur force pour bâtir « une ville et une tour dont le sommet atteigne au ciel » (Gn 11.4), mettant ainsi en action leur intention d’atteindre le ciel par leurs propres moyens. Plus tard encore, lorsqu’Israël demandera à Samuel d’ordonner un roi, Dieu répondra : « c’est moi qu’ils rejettent ; ils ne veulent plus que je sois roi sur eux. » (1 Sa 8.7). Et l’on pourrait poursuivre en citant la mise en croix du Christ, le rejet de l’Esprit Saint répandu à la Pentecôte ou les tentations des premiers chrétiens d’abandonner la foi pour d’autres doctrines. Bref, la tentation de l’idolâtrie, de se choisir comme Dieu ou de choisir un autre objet comme Dieu existe bien en dehors de l’ennéagramme et l’ennéagramme n’en est pas responsable en soi.

L’ennéagramme mélange les plans psychologiques et spirituels ?

 « Vouloir préciser les rapports entre théologie et sciences humaines, c’est prendre position dans un long débat qui n’a pas fini de se poursuivre entre les praticiens de chacune de ces disciplines[3]. »  L’ennéagramme offre un terrain de rencontre de ces deux disciplines qui, dans la longue histoire prémoderne de l’humanité, ont toujours eu partie liée. Avec les voies spirituelles, l’ennéagramme présuppose que l’univers a une finalité, qu’il existe un bien supérieur et transcendant, que l’homme et le caractère font partie d’une structure ordonnée plus vaste. Avec les voies psychologiques, il explore les automatismes, les mécanismes de défense, les articulations entre les dispositions plus sensibles, cognitives et volitives de l’humain, les points de vue plus intérieurs et ceux plus extérieurs.

Si le risque de confusion entre ces plans spirituels et psychologiques existe bel et bien, une ligne déontologique respectant le cadre et les présupposés des deux approches permettra un dialogue fécond. Sur la question de la vérité par exemple, nous pourrions, avec le théologien François Bousquet[4], distinguer trois niveaux de vérité : la vérité d’ordre noétique (celle de la connaissance), la vérité comme tâche éthique (faire la vérité) et enfin la Vérité majuscule (Jésus, dans la foi chrétienne). Professer Jésus-Christ la Vérité ne dispense nullement d’examiner la vérité de notre connaissance ou celle de nos intentions et de nos pratiques.

L’ennéagramme enferme ?

Enfin, le troisième reproche majeur que certains adressent à l’ennéagramme est celui d’enfermer une personne dans une personnalité (ou un type) déterminé et prévisible et de perdre ainsi les côtés uniques et contingents de la personne. Là encore, la remarque peut s’entendre et se vérifie en partie dans la pratique. Celui qui découvre l’ennéagramme sera tenté à l’un ou l’autre moment de dire : « Voilà une expression typiquement 6 ! » ou de faire une généralisation « tous les 1 agissent ainsi ! » Trois remarques nous semblent alors importantes.

  1. Cette tentation de typer ou de déterminer les autres peut et doit être dépassée. Elle s’ancre pour beaucoup dans notre désir de contrôler notre environnement, de nous sécuriser ou de nous valoriser. Elle est contraire à un usage déontologique de l’outil et n’aide personne à progresser.
  2. Heureusement que les déterminismes existent. Ils sont les garants d’une certaine stabilité du caractère et nous les détectons assez naturellement chez les autres. Un enfant saura assez rapidement auquel de ses deux parents adresser telle ou telle demande, parce qu’il a observé dans le temps une certaine constance des réponses qui lui sont adressées. Au risque de forcer un peu le trait, c’est bien parce qu’il y a certains déterminismes que les relations peuvent être stables et la vie en société possible.
  3. Si nous détectons facilement les déterminismes des autres, nous avons beaucoup plus de mal à détecter les nôtres. Lorsque nous nous engageons dans une pratique de connaissance de soi telle celle que permet l’ennéagramme, nous apprenons à observer et reconnaître ces déterminismes et nous gagnons alors réellement en liberté. Cette liberté n’est pas absence de structures, mais acception et bonne utilisation des structures existantes[5]. Cela facilite le rapport que nous avons à nous-mêmes et aux autres.

Une proposition : redonner à chacun la place qui lui convient !

En résumé, l’ennéagramme n’enlève ni n’ajoute rien à la foi chrétienne. En soi, l’ennéagramme ne nous semble contredire aucune des convictions profondes de la foi chrétienne et nous ne voyons pas de raison d’opposer ennéagramme et foi chrétienne.

Notre ligne déontologique et pratique situe l’ennéagramme en dérivation de la foi chrétienne. C’est premièrement parce que nous avons fait l’expérience d’une rencontre avec celui qui est la Vérité que nous croyons que la Vérité existe et que nous cherchons alors à accorder nos vies à la Vérité. En cela, l’ennéagramme est une aide précieuse.

 

 

[1] C’est parfois l’histoire même de la genèse de l’ennéagramme qui est détournée et présentée comme surnaturelle. Pour un parcours historique démystifié, voir F. & P. Chabreuil, Le grand livre de l’ennéagramme, Paris, Eyrolles, 2ème édition, p. 349-361. On trouve aussi des informations dans le texte L’ennéagramme : dynamique de connaissance et d’évolution, téléchargeable sur https://enneagramme.com/Livres/9edce_d.htm

[2] Pascal Ide, « Ennéagramme et transcendantaux. Interprétations croisées. » Nouvelle revue théologique, 2017/4, Tome 139, p. 619 à 638. On consultera avec profit cet article dont la deuxième partie offre quelques éléments de réponse aux principales objections adressées à l’ennéagramme.

[3] Jean Joncheray, « Théologie et sciences humaines », in Gilles Routhier et Marcel Viau, Précis de théologie pratique, Bruxelles ; Montréal, Lumen Vitae ; Novalis, 2004. Article p. 167-178.

[4] François Bousquet, « Proposition chrétienne de la vérité et dialogue interreligieux », in Spiritus, Paris, n°159 « Colloque œcuménique. La pertinence de la mission chrétienne dans le contexte de la pluralité religieuse », juin 2000.

[5] Pour aller plus loin, on pourra consulter l’ouvrage de Norbert Mallet, le développement personnel du chrétien, Paris, Salvator, 2013. L’auteur conclut que la connaissance de soi s’inscrit pour le chrétien dans la découverte et l’accueil des structures créationnelles, qu’elle vise comme but : « soi-même en Dieu » p. 197.

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